Dans notre club, chez F&S au KB, depuis l’été 2022 nous avons relancé, avec le soutien de deux autres joueurs, la pratique du jeu d’histoire assisté par ordinateur.
Et là où cela devient intéressant, c’est que, dès que l’on aborde ce sujet avec la plupart des joueurs, l’on constate rapidement une méconnaissance des principes et surtout une tendance à s’en méfier ou s'en détourner, sans même avoir pratiqué une seule partie. Second phénomène récurant, pour les plus téméraires qui ont joué une partie, le fait de reporter sur « l’ordinateur » la « faute » de l’échec du joueur plutôt que la prise en compte de ses erreurs purement tactiques pendant la bataille. Alors pourquoi tant de méfiance, tant de haine pour un style de jeu qui pourtant apporte de nombreux avantages à la pratique de notre hobby, en particulier pour du jeu fortement orienté simulation ?
Dis le Marius, c’est quoi un jeu de figurines assisté par ordinateur ? On n’y comprend pas grand-chose à ce que tu nous dis !
Houlalalalaaaaaa, mais de quoi parle-t-il le Marius, se demandent certains ? Et bien tout simplement d’un type de règles peu connu. Laissez-moi vous expliquer, nous sommes ici clairement dans une « niche » du jeu d’histoire avec figurines, qui plus est, une niche très peu pratiquée en France. A première vue, en lisant le titre, certains pourraient situer ce type entre les règles avec figurines pilotés par des dés & tableaux communément pratiqués dans nos vertes contrées (Black Powder & cie), et les jeux vidéo sur ordinateur catégorie wargames (tels que Napoleon Total War & cie). Cette vision serait pourtant erronée, biaisée et réductrice.
Reprenons depuis le début et faisons simple. De quoi avons-nous besoin pour y jouer ? :
- de figurines (peintes de préférence),
- d’une table de jeu avec de (beau) décors,
- d’un ordre de bataille qui liste et caractérise (type/qualité/effectifs) vos unités sur le champ de bataille,
- d’un mètre (ou réglette) pour calculer les distances et enfin une feuille qui récapitule les distances de mouvement et de tir des différentes unités.
Bref, jusqu’ici, rien de plus normal pour les joueurs avertis.
- L’unique différence réside dans le fait que c’est un programme qui va réaliser tous les calculs pour les combats/changements de formations et qui communiquera aux joueurs le résultat (avec ses conséquences à appliquer) plutôt qu’un jet de dé suivi de la lecture d’un tableau que l’on trouve dans les règles conventionnelles. Et comme le programme peut mémoriser de nombreuses informations il réalisera pour vous un suivi bien plus détaillé et en temps réel (fluctuation vers le haut ou le bas) de l’état de chaque unité et pourra également intégrer de nombreux détails trop fastidieux à suivre manuellement (par exemple le stock de munitions, l’impact de la météo sur le tir ou la visibilité…). Voilà, c’est tout, rien de plus, rien de moins. Les dés/cartes/jetons à piocher et autres supports sont remplacés par un simple petit logiciel que vous aurez préalablement installé sur un ordinateur, mobilité oblige, de préférence portable.
Et oui, nous sommes donc ici bien en présence de véritables règles de jeu avec figurines. Pour la petite histoire, ce sous genre semble s’être démocratisé dans les années 80 du siècle dernier. Il existait alors plusieurs concurrents dans les startingblocks dont « Follow the eagle », « Napoleon’s Wars » et « Carnage & Glory ». Après les années 2000, ceux-ci semblent peu à peu avoir sombré dans l’oubli mais pas tous, car Carnage & Glory (C&G) résistait toujours et encore. Avec une version 2, C&G est encore régulièrement pratiquée par une communauté active (en particulier aux USA) grâce au dynamisme de son auteur Nigel P. Marsh qui la fait vivre et surtout évoluer avec au besoin une mise à jour annuelle !
Ceci posé, certains préjugés temporairement mis de côté, nous voici donc enfin dans une présentation des grands principes du jeu de figurines assisté (ou piloté dirons certains) par ordinateur car pour le moment vous n’y voyez probablement pas beaucoup plus clair excepté le fait de ne pas lancer de dés (c’est le moment de faire votre deuil, ce n’est pas dramatique non plus comme perte, on s’y fait facilement).
Quel est le feeling de jeu alors ?
Du point de vue de la sensation de jeu, le grand changement auquel les joueurs vont être confrontés est celui de la gestion et de la perception de la « friction » au sens "Clausewitzien", ou du hasard dirons joueurs les ludiques. Plutôt que de devoir chercher dans une règle papier sous forme de livre les différents modificateurs à prendre en compte puis de lancer des dés pour obtenir un résultat, il suffira ici, via l’interface graphique du jeu, de sélectionner les unités concernées, de cocher quelques cases pour prise en compte de modificateurs extérieurs à l’unité puis de valider. L’ordinateur, enfin, l’interface graphique, on est plus à l’âge de pierre, indiquera alors les conséquences sous forme de résultat avec les actions à appliquer (mouvement et distance obligatoire, formation etc.). Et là, patatras, beaucoup de joueurs sont tout à coup déboussolés, voir totalement perdus ! Ils ne peuvent plus calculer leurs probabilités de réussite, ne savent plus combien (+1 ou +2 ?) apporte la protection d’un bâtiment en bois, ils ne contrôlent plus au doigt et à l’œil leurs unités, ne savent plus si le niveau de fatigue est trop important et s’il est encore possible de faire une nouvelle attaque ou un tir sans trop de risques etc. L’effet « hélicoptère » qui permettait aux joueurs de deviner ou calculer est alors fortement réduit et oblige ceux-ci à se poser des questions ou faire des choix de manière bien plus réaliste et proche de celle des généraux de l’époque. Et puis cerise sur le gâteau, l’absence de dés leurs enlève une excuse majeure pour masquer leur incompétence ou leurs prises de risques inutiles, impossible de dire en fin de partie « j’ai perdu car je n’ai pas eu de chance aux dés… ». Voilà 2 des causes majeures qui expliquent parfois la mise de côté de ce style de jeu.
Lors d’une partie jouée, ce sont donc les seules différences majeures avec les règles de type papier. Tout le reste, tour de jeu classique ou non, représentation et déplacement des unités, ne dépendra que des choix et préférences ludiques de l’auteur du logiciel. Une règle assistée par ordinateur peut donc être aussi bien ludique que de type simulation en fonction de son cahier des charges initial. C’est fou comme dit ainsi, tout à coup ce style de jeu devient soudainement moins « différent » moins repoussant non ?
Haaaaaaaa mais ce n’est pas tout, y’a l’ordi ! En effet, au centre de la tempête qui sévi encore sous certains crânes de lecteurs réfractaires, un argument surnage, celui de l’Ordinateur avec grand « O ».
L’ordinateur, cette méchante machine :
« Un ordinateur ce n’est pas pratique, tout le monde ne peut pas s’en payer un, ce n’est pas un outil pour jouer aux figurines mais plutôt pour jouer à des jeux vidéo » (dont certains sont en temps réel, soit dit en passant) et j’en passe et des meilleurs. A ceux-là je répondrais, mais n’utilisez-vous pas déjà un ordinateur pour rédiger et publier sur vos blogs, pour partager vos photos de peinture ou rapports de batailles, pour effectuer vos recherches d’Ordres de Batailles, de cartes, de scénarios, d’uniformes ? N’utilisez-vous pas votre ordinateur pour créer des fichiers dans des tableurs pour vos ordres de batailles, ne refaites vous pas des QRS plus « pratiques » ou des fiches d’unités de vos règles préférées ? D’ailleurs, n’en avez-vous pas un exemplaire dématérialisé, voir même sur une tablette afin de ne pas abimer votre version papier (ça c’est pour les plus geeks d’entre nous), bref, n’utilisez-vous pas déjà un ordinateur pour presque tout ce qui touche de près ou de loin notre le hobby ?
Certes c’est un budget qui, soit dit en passant, est devenu en 30 ans bien plus abordable compte tenu des services qu’il rend. Mais acheter des figurines, de la peinture, des pinceaux, décors ou règles l’est également, tout est ici question de priorités. Et puis franchement, il ne sert pas seulement à notre hobby mais bien à presque toutes les autres activités de votre foyer. C’est donc un investissement pertinent dans notre monde ultra connecté. Reste, qu’il il vaut mieux avoir un ordinateur portable (laptop) pour ce type de jeux. Mais franchement, en 2023 soit les joueurs en ont un dans leur foyer, soit le prochain achat risque fortement d’en être un. Dans ce cas, si vous le pouvez (car c’est plus cher), privilégiez une machine légère et avec une bonne autonomie, le confort en sera accru et l’encombrement réduit. Dernier point positif, les règles assistées par ordinateur ne nécessitent pas, contrairement aux jeux vidéo, d’une machine puissante. Même avec un petit budget, un ordinateur de seconde main pourrait très bien faire l’affaire.
Si après toutes ces remarques vous n’êtes toujours pas réceptif, n’insistez pas, ce n’est tout simplement pas votre tasse de thé ou pas encore le moment de vous y intéresser. Peut-être que dans quelques années votre vision et vos envies dans le jeu d’histoire auront changé, et pourquoi pas, donnerez-vous alors une chance au produit. Vous pouvez vous dispenser de la suite de la présentation et reprendre vos activités habituelles.
Pour les autres, si un petit coup de barre se fait sentir pendant votre lecture, n’hésitez pas à vous à faire une petite pause-café, histoire de reprendre dans les meilleurs conditions la suite de la lecture.
Quelques principes d’une règle assistée/modérée par ordinateur à partir de notre expérience de Carnage & Glory 2 (C&G) :
Ce concept d’assistance (ou aussi appelé modération) par ordinateur permet une puissance et finesse de calculs impossible à atteindre avec une règle papier sans alourdir les tâches et points de règles à retenir des joueurs ou même couvrir la table de trop nombreux marqueurs. Rendre invisible les lourdeurs des calcules pour laisser le joueur face à son plan de bataille sans le polluer de multiples particularités et exceptions de règles, voilà une chose bien pratique.
Finalement, une règle classique (papier & dés) c’est quoi ? C’est essentiellement un cadre ludique bien défini qui permet de traiter deux principales problématiques à savoir :
- Manœuvrer et contrôler des unités (mouvement, changement de formation, commandement etc) représentées par des figurines,
- Résoudre des tests de réussite lors que les unités ont des interactions entre elles (combats, tirs etc.) ou avec le terrain (changement de formation, traversée de terrain difficile, changement d’ordres etc.).
Et bien pour C&G c’est la même chose, le tour de jeu, la manœuvre et le contrôle des unités suit des règles classiques qu’il faut, malheureusement pour les paresseux qui s’imaginaient déjà ne plus avoir d’effort à faire, apprendre en lisant le livret des règles (principalement distances de mouvements selon les formations et le terrain, troupes traversables ou non, contraintes de tir, de commandement etc.). Bref, rien de déstabilisant, sauf qu’ici il peut suffire d’une personne, en général un arbitre, pour maitriser ces fondamentaux ce qui permet d’intégrer, même à la volée, de nouveaux joueurs totalement néophytes en la matière.
Votre manière de jouer risque d’évoluer, là ou une règle classique ne peut vous faire perdre de la fatigue lors de changements de formations, le logiciel lui, intègrera finement ce détail qui s’accumulera et s’ajoutera à d’autres car la fatigue devient ici la clé de voute de vos décisions et engagements. Terminé le petit tir de volée à longue distance, « au cas où », dans l’espoir de faire des pertes sans contrepartie car avec l’ordinateur le résultat peut être tracé au soldat adverse près, qu’il soit blessé prisonnier ou tué par un feu inutile à longue distance bien plus stressant et fatiguant pour le bataillon qui a tiré que la seule perte reçue pour la cible. Retenir ou non votre feu deviendra la pierre angulaire de votre réflexion !
Le joueur est donc plongé dans son rôle de général qui commande ses troupes plutôt que dans celui d’un comptable qui optimise de nombreux petits facteurs et doit gérer des marqueurs ou autres feuilles d’état des troupes.
En pratique ça donne quoi ?
Une bataille C&G ressemble à une table de jeu classique essentiellement couverte de figurines que le joueur doit déplacer accompagné de peu ou pas de marqueur ce qui est bien sympa visuellement. Tout mouvement simple d’une unité (avancer tout droit, ou sur une route) ne nécessite aucune interaction avec l’ordinateur. Celui-ci n’intervient qu’en cas de situation particulière (changement de formation, combats, tirs, passages de lignes…). Dans ce cas, le joueur transmet le numéro attaché à l‘unité pour que l’arbitre puisse enregistrer les conditions du test, et si besoin communiquer en retour des informations au joueur concerné (via l’affichage sur l’écran). Aucun tableau ou point de règle à consulter, c’est rapide et efficace (plus qu’avec des règles papier, croyez-moi). Le seul véritable point de ralentissement qui peut arriver c’est lors de grosses parties multi-joueurs (8 ou plus) pour lesquels, si de nombreuses actions particulières types combats on lieu en même temps, il faudra saisir l’un après l’autre les dis combats. Autre contrainte, plus il y a de joueurs, plus il faut s’astreindre à une certaine rigueur pour transmettre les réponses et ne pas parler tout le monde en même temps (dans ce cas, la présence d’un joueur expérimenté par camp aide grandement).
Entre 2 joueurs expérimentés qui maîtrisent la saisie dans le logiciel, chacun se chargera de la saisie lors du tour de jeu de son adversaire, mais en général, cette tâche sera plutôt réalisée par un arbitre dédié (ce qui ne l’empêche pas non plus de jouer), laissant aux joueurs toute latitude de se concentrer uniquement sur leurs manœuvres et le déroulement de leur bataille.
A ce propos, les joueurs américains utilisent plutôt le terme de Maître de Jeu (MJ, ou GM en ‘ricain), et ce me semble d’ailleurs pertinent car cela renforce l’immersion dans la partie. Le MJ peut, ou non, distiller aux joueurs différentes informations transmises par le logiciel et qu’il jugera nécessaires ou utiles (pertes, état de l’unité…). De même pour des anecdotes parfois cocasses (un aide de camp perd du temps car il a trop bu au début de la bataille, un chef inspiré qui harangue ses troupes avec ferveur, une batterie d’artillerie qui, à force d’avoir trop tiré, se retrouve avec une visibilité réduite à cause de la fumée…). Bref, comme dans un jeu de rôle, celui-ci peut devenir un véritable ambianceur pour accentuer le narratif de la bataille et donner une profondeur de jeu avec immersion du meilleur effet. De notre coté nous n’en somme pas encore là, surtout lors des parties courtes du vendredi soir mais nous ne désespérons pas de pouvoir y arriver dans quelques temps.
Dernier point à ne pas oublier, la préparation pré bataille qui nécessite un peu de travail de la part de l’arbitre. Les unités et structures de commandement doivent être saisies dans le logicielle, ce qui demande un peu d’expérience et de patience. Avantage non négligeable, une fois réalisé le chargement initial (il est souvent possible d’acheter des listes toutes prêtes ou d’en télécharger gratuitement), vous pourrez alors facilement les ré utiliser pour rejouer une bataille ou créer des listes d’armées similaires.
C’est bien beau tout ça, mais visuellement,
on a un exemple de bataille jouée ? Nous on croit que ce que l'on voit !
Si à ce stade certains sont encore dubitatifs ou dans le flou, le second article à venir détaillera de nombreux points et exemples pratiques rencontrés lors de nos premières parties de C&G (la règle que nous pratiquons). Cela vous permettra de mieux comprendre comment l’ensemble s’articule en pratique. Le second point que nous aborderons traitera de la modélisation « historique », car C&G se veut être une simulation à forte composante historique, genre de jeu qui justement profite pleinement des avantages et de l’aide d’un logiciel. En attendant, pour ceux qui n’ont pas lu l’article sur la bataille de Chiclana-Barrosa 1811 version C&G n’hésitez pas à jeter un coup d’œil pour constater que rien ne ressemble plus à une table de jeu de figurines qu’une autre table de jeu de figurines ! ha si, vous risquez d’y trouver moins de marqueurs et de dés égarés...
http://unmariussinonrien.blogspot.com/2022/11/carnage-gloire-barrosa-5-mars-1811.html
Un exemple de table de jeu en 28mm (Napo, Guerre d'Espagne) |
Évidemment, certains ne voudrons/pourrons pas se passer de leur règle et tableaux récapitulatifs sur le bord de table, de leurs fameux jets de dés pour résoudre le moment critique des combats et on peut les comprendre, mais pour les autres, en particulier ceux qui cherchent un système pointu et orienté simulation avec une approche fortement historique, C&G2 (ou toute autre règle assistée par ordinateur) mérite d’être essayé. Cette autre manière de jouer permet réellement d’alléger une grande partie de la complexité des règles de simulation et se prête particulièrement bien au jeu en solitaire et au jeu en campagne si la règle comporte un module pour cela (ce qui est le cas de C&G par exemple).
Les choses sérieuses et plus de photos explicatives au prochain épisode.
En cet été de 1994, je fus accueilli par les Immortels de Paris-Ouest. J'ai un très bon souvenir des batailles napoléoniennes modérées par Follow the Eagle ou C&G 1ere mouture. Une expérience qui m'a convaincu... COM-PLÈ-TE-MENT.
RépondreSupprimerMerci Eric pour ce message de soutien qui nous rappelle qu'il y avait une forte communauté C&G aux IPO dans les années 90. Coté jeu, vous souvenez vous s'il y avait de grandes différences entre "C&G" v1 et "Follow the Eagle" ?
SupprimerSalut Eric, mon dieu cela fera bientôt 30 ans, que de souvenirs.
SupprimerBenoît
Figalpage, l'aspect qui m'avait le plus plu était la transmission des nouveaux ordres (distance à parcourir, délai, interprétation par le général qui reçoit). C'était déterminant dans l'expérience que d'avoir à gérer cette incertitude. Maintenant, ce qui appartenait à l'une ou l'autre règle à l'époque s'est complètement embrouillé depuis. ;-) Désolé.
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